Et chaque nuit, Jilaha faisait le même rêve, qu'elle oubliait aussitôt le matin. Allongée sur le sol, seule persistait une étrange sensation de ne faire qu'un avec la terre, le ciel, le soleil... l'eau... Bluetoo...
Et pourtant, une nuit...
Jilaha ressentit la présence familière en elle et autour d'elle, sensiblement plus proche que d'accoutumée, comme entièrement consacrée, tournée vers elle.
Elle posa " la " question.
- " Qui es-tu ? "
Une houle d'incompréhension la retourna.
Malgré la certitude que rien n'était inconnu de sa personne à cette entité, elle se présenta.
- " Je suis Jilaha. "
Et elle s'ouvrit toute entière, livrant en bloc ses émotions, ses envies, ses projets, révélant ses pensées les plus secrètes, ses peurs et ses revers.
Elle réitéra :
- " Et toi ? "
La vague qui l'envahit, la submergea, faillit la faire sombrer dans la folie familière, sans aucune possibilité d'y échapper, de s'y dérober, en admettant qu'elle en eût l'idée ou l'envie.
Elle sentit l'odeur de la terre dans ses narines, dans ses poumons, et jusque dans son sang, sa sueur, son urine.
L'arbre n'avait plus de secrets pour elle, elle perçut la montée de la sève en elle, ses pieds enfouis dans les entrailles chaudes de Bluetoo, ses bras oscillant au même rythme que ses cheveux, ployant sous le poids infime mais infiniment répété de ses hôtes volants.
La rivière circula dans les méandres de son corps et les circonvolutions de son cerveau, laissant les poissons aux pensées confuses picorer ses neurones, alors que cela se diluait en arrivant dans la mer, incapable de rassembler ses parcelles de conscience dispersées dans l'immensité bleue, source de vie, où rien n'était perdu mais tout participait à la montée de l'énergie dans le ciel, sous la puissance du soleil.
Le ciel... le soleil... d'infimes particules d'humidité, le rassemblement en nuées changeantes, le tumulte de l'orage, le démembrement des nuées avant la chute brutale, l'écrasement sur le sol sec à l'odeur de poussière, poussière mouillée, ruisseaux de boue, torrents de terre et de pierres charriées jusque dans la plaine tranquille.
La gueule d'un petit animal assoiffé, avide, engloutissant plus d'eau qu'il n'en pourra retenir. Sa satisfaction profonde, satiété longtemps attendue, la saison des pluies, des amours, des petits exigeants de la vie, avenir de l'espèce. La course incessante pour survivre, derrière la proie succulente, l'épi refleurissant ou la femelle offerte...
Jilaha gisait, pantelante, aspirant l'air par saccades, s'accrochant désespérément à ces menues pensées, rassurantes, familières, de peur de repartir dans le cycle sans fin de Bluetoo.
Bluetoo... L'âme de la planète s'était offerte à elle.
Jamais plus elle ne foulerait son sol, ne respirerait son air, n'absorberait sa chair qu'en lui offrant un respectueux hommage...
L'Eden Bleu (Les Chemins De Bluetoo
Point 660)
Et pourtant, une nuit...
Jilaha ressentit la présence familière en elle et autour d'elle, sensiblement plus proche que d'accoutumée, comme entièrement consacrée, tournée vers elle.
Elle posa " la " question.
- " Qui es-tu ? "
Une houle d'incompréhension la retourna.
Malgré la certitude que rien n'était inconnu de sa personne à cette entité, elle se présenta.
- " Je suis Jilaha. "
Et elle s'ouvrit toute entière, livrant en bloc ses émotions, ses envies, ses projets, révélant ses pensées les plus secrètes, ses peurs et ses revers.
Elle réitéra :
- " Et toi ? "
La vague qui l'envahit, la submergea, faillit la faire sombrer dans la folie familière, sans aucune possibilité d'y échapper, de s'y dérober, en admettant qu'elle en eût l'idée ou l'envie.
Elle sentit l'odeur de la terre dans ses narines, dans ses poumons, et jusque dans son sang, sa sueur, son urine.
L'arbre n'avait plus de secrets pour elle, elle perçut la montée de la sève en elle, ses pieds enfouis dans les entrailles chaudes de Bluetoo, ses bras oscillant au même rythme que ses cheveux, ployant sous le poids infime mais infiniment répété de ses hôtes volants.
La rivière circula dans les méandres de son corps et les circonvolutions de son cerveau, laissant les poissons aux pensées confuses picorer ses neurones, alors que cela se diluait en arrivant dans la mer, incapable de rassembler ses parcelles de conscience dispersées dans l'immensité bleue, source de vie, où rien n'était perdu mais tout participait à la montée de l'énergie dans le ciel, sous la puissance du soleil.
Le ciel... le soleil... d'infimes particules d'humidité, le rassemblement en nuées changeantes, le tumulte de l'orage, le démembrement des nuées avant la chute brutale, l'écrasement sur le sol sec à l'odeur de poussière, poussière mouillée, ruisseaux de boue, torrents de terre et de pierres charriées jusque dans la plaine tranquille.
La gueule d'un petit animal assoiffé, avide, engloutissant plus d'eau qu'il n'en pourra retenir. Sa satisfaction profonde, satiété longtemps attendue, la saison des pluies, des amours, des petits exigeants de la vie, avenir de l'espèce. La course incessante pour survivre, derrière la proie succulente, l'épi refleurissant ou la femelle offerte...
Jilaha gisait, pantelante, aspirant l'air par saccades, s'accrochant désespérément à ces menues pensées, rassurantes, familières, de peur de repartir dans le cycle sans fin de Bluetoo.
Bluetoo... L'âme de la planète s'était offerte à elle.
Jamais plus elle ne foulerait son sol, ne respirerait son air, n'absorberait sa chair qu'en lui offrant un respectueux hommage...
L'Eden Bleu (Les Chemins De Bluetoo
Point 660)
Quelques centaines de mètres, et elles seraient en sécurité, ou presque. Leur course vers l'à-pic de la falaise les transcendait, faisait d'elles des gazelles, légères et invulnérables, plus rapides que le vent, loin devant le prédateur. Mais des bruits de voix et de chocs sourds, jusque-là étouffés par l'écran compact de la dune, leur parvinrent soudain, et elles étaient exposées sur le plateau, dans la douce lumière des étoiles. Des silhouettes sombres, plus obscures que les ombres, leur apparurent, les membres prolongés d'excroissances menaçantes. Les gueules noires étaient pointées vers elles, et l'officier beugla une sommation. Jilaha avait déjà son laser à la main, et elle n'hésita qu'un instant, aligna le premier garde et tira, réalisant dans la fraction de seconde que son arme était réglée sur une courte portée.
Soon Li réagit avec une rapidité stupéfiante et dans le même mouvement fluide, saisit son laser, roula sur elle-même et tira sans viser. Des exclamations étouffées exprimèrent la surprise des gardes de les trouver armées. Jilaha, occupée à rectifier le réglage de la portée, ne vit pas si elle avait fait mouche, mais saisit instantanément la différence entre un entraînement intensif et quelques leçons d'autodéfense prises de temps à autre.
Eh bien, c'est tout de même mieux que rien !
Et elle brandit son arme, cherchant une cible.
Mais les gardes s'étaient à présent retranchés derrière la dune, inaccessibles et postés de manière à réaliser un beau tableau de chasse, avec ces deux cibles offertes sur un plateau. Soon Li lui saisit le bras, elles prirent leurs jambes à leur cou et filèrent en zigzag jusqu'au bord de la falaise. Jilaha se jeta la première, trouvant une prise pour les pieds et guidant la jambe de Soon Li pour l'aider à descendre. Les traits des lasers, lances lumineuses et silencieuses, semblaient irréels, illuminant la nuit et leurs silhouettes de rouge, créant des halos dans les nuages de poussière.
Jusqu'au moment où Jilaha vit la traînée de sang, rouge sur rouge, sur le mollet de Soon Li. Elle guida son pied jusqu'à la première prise, tout en continuant de descendre à l'aveuglette pour trouver la corniche de pierre qu'elle espérait proche. Dans l'urgence de la situation, plaquée à la paroi presque verticale, elle se mit à glisser lentement, bras et jambes écartés, son corps entier faisant friction. La ceinture lestée de containers clignotants la gênait dans sa progression, et elle espéra qu'ils ne seraient pas endommagés par le frottement. Elle se tendit au maximum, devinant l'arête toute proche sous ses pieds, la sentit du bout de ses orteils et relâcha ses doigts crispés pour s'appuyer plus franchement.
L'Eden Bleu (Les Chemins De Bluetoo
Point 660)
Illustration Sébastien Le Gall
Soon Li réagit avec une rapidité stupéfiante et dans le même mouvement fluide, saisit son laser, roula sur elle-même et tira sans viser. Des exclamations étouffées exprimèrent la surprise des gardes de les trouver armées. Jilaha, occupée à rectifier le réglage de la portée, ne vit pas si elle avait fait mouche, mais saisit instantanément la différence entre un entraînement intensif et quelques leçons d'autodéfense prises de temps à autre.
Eh bien, c'est tout de même mieux que rien !
Et elle brandit son arme, cherchant une cible.
Mais les gardes s'étaient à présent retranchés derrière la dune, inaccessibles et postés de manière à réaliser un beau tableau de chasse, avec ces deux cibles offertes sur un plateau. Soon Li lui saisit le bras, elles prirent leurs jambes à leur cou et filèrent en zigzag jusqu'au bord de la falaise. Jilaha se jeta la première, trouvant une prise pour les pieds et guidant la jambe de Soon Li pour l'aider à descendre. Les traits des lasers, lances lumineuses et silencieuses, semblaient irréels, illuminant la nuit et leurs silhouettes de rouge, créant des halos dans les nuages de poussière.
Jusqu'au moment où Jilaha vit la traînée de sang, rouge sur rouge, sur le mollet de Soon Li. Elle guida son pied jusqu'à la première prise, tout en continuant de descendre à l'aveuglette pour trouver la corniche de pierre qu'elle espérait proche. Dans l'urgence de la situation, plaquée à la paroi presque verticale, elle se mit à glisser lentement, bras et jambes écartés, son corps entier faisant friction. La ceinture lestée de containers clignotants la gênait dans sa progression, et elle espéra qu'ils ne seraient pas endommagés par le frottement. Elle se tendit au maximum, devinant l'arête toute proche sous ses pieds, la sentit du bout de ses orteils et relâcha ses doigts crispés pour s'appuyer plus franchement.
L'Eden Bleu (Les Chemins De Bluetoo
Point 660)
Illustration Sébastien Le Gall
Ils avaient dû se relayer pour porter les deux petites qui tombaient de sommeil, mais Oumbe et Thalissa marchaient à une allure soutenue, glissant avec aisance sur le sable, sautant par-dessus les pierres, goûtant avidement chaque instant de ce voyage merveilleux. Et Jilaha, en les observant, se rendit compte qu'elle se comportait inconsciemment comme eux, regardait de tous côtés et découvrait avec plaisir chaque nouvel élément du paysage. Un rocher isolé au profil torturé, une dépression formant une inquiétante plage sombre, la nuit donnait un relief surréaliste à ce plateau qu'elle ne connaissait qu'écrasé de lumière. Elle se rendit compte que certains ne partageaient pas son appréciation du paysage et jetaient des regards angoissés vers les ombres noires qui s'étalaient sur le sol ou se dressaient devant eux. Moon surtout semblait regretter sa participation au périple, et Jilaha se retint de le moquer, déjà étonnée qu'il soit finalement venu et ne souhaitant pas le décourager.
Le Mandarin (Les Chemins De Bluetoo
Point 0)
Le Mandarin (Les Chemins De Bluetoo
Point 0)